samedi 14 juin 2025

@ « Le Contes des neufs vérités »

  Le conte qui suit a été recueilli en 1949, auprès de Madame Maurice Rigaud, à Bélesta (Ariège).

On sait que les différentes variantes de la plupart des contes traditionnels résultent, en grande partie, des « voyages », parfois nombreux, qu'ont exécutés ces contes le long des siècles.

Dans l’ouvrage datant de 1880 de Xavier Marmier "Contes Populaires de Différents Pays" nous retrouvons de nombreux contes connus en Ariège, rien d’étonnant à cela. Au XIXe siècle l’Ariège est une terre d’émigration à cause de la misère. La terre ne suffisant pas à faire vivre une famille, le paysan avait une deuxième activité souvent dans l’industrie métallurgique (mineur, cloutier, charbonnier...). L’arrêt des forges à la catalane concurrencé par les hauts fourneaux a obligé les Ariègeois à émigrer pour survivre. Les Ariègeois qui revenaient dans leur village après des années d’exil avaient avec eux des contes qui avaient appris dans les différents pays où ils s’étaient établis. Mais l’Ariège à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle est aussi une terre d’immigration, ces émigrés Russes, Allemands, Polonais, Italiens, Portugais, Magrébine ont souvent été obligés de quitter leurs pays pour des raisons politiques, ils sont venus avec leur savoir technique et aussi avec leurs cultures.

Le soir aux veillés ils se racontaient ces contes traditionnels qui leur rappelaient ce pays dont ils avaient la nostalgie. Avec le temps ces contes ont été dilués dans notre culture et nous les avons faits notre.


                Le counte de las nau bertats.

              « Le Contes des neufs vérités »


Un soir du mois de mai, alors que la cloche de l'église sonnait les 5 heures, Mathieu, fabricant de comportes dans le vieux quartier de Bélesta, vit entrer le diable dans son atelier. 

Ce cornu, en trébuchant parmi les copeaux, faillit tomber dans une comporte.

- Bonsoir, Mathieu, lui dit-il ; toi qui n'as pas été toujours honnête dans ta vie, je viens te faire savoir qu'aussitôt que tu mourras, ton âme m'appartiendra et qu'elle descendra directement en enfer.

- Je n'ai pas été honnête, moi ? Et qu'ai-je donc fait ?

- Et tu ne te rappelles-pas cette nuit où tu allas voler un sac de pommes de terre chez Bernard, là-bas, à côté de la chapelle, et que tu avais huilée comme il faut la roue de ta brouette ? Et la fois où tu allas couper une paire de jeunes sapins dans la forêt communale ?

Ah ! Ah !

C'est que moi je vois tout. Seulement, comme tu es un brave ouvrier travailleur et que tes comportes sont les plus solides et les plus jolies de la contrée, tout cela sera oublié si tu peux me dire neuf vérités, lorsque je repasserai. 

Aujourd'hui nous sommes le 11 mai ; je reviendrai le 11 août, à la même heure.

Et le diable se sauva comme un voleur...

Le pauvre Matthieu en fut un instant suffoqué.

- Aller en enfer, moi ? Mon Dieu, je ne peux y penser. Et comment vais-je faire pour lui dire neuf vérités ? Je peux en trouver deux ou trois ; mais neuf, cela n'est pas possible !

Lorsqu'arriva l'heure du souper, le pauvret se mit à table ; mais, rongé par cette affaire des neuf vérités, il ne fit que manger du bout des lèvres.

- Et qu'as-tu, tu es malade ? Lui demanda sa femme.

- Et que veux-tu que je sois malade ; je n'ai pas faim ce soir.

- Toi, tu me caches quelque chose. Le dîner t'a indisposé, peut-être ? Veux-tu une tisane bien chaude ?

- Que non pas, que non pas, je te dis que je n'ai rien.

- Allons, allons !

S'il y a quelque chose qui te chagrine, dis le moi. Nous tâcherons d'arranger cela.

- Eh bien oui, dit Mathieu en fin de compte ; il y a quelque chose qui m'est resté là, sur l'estomac, mais ce n'est pas le dîner.

Et alors il lui conta la visite du diable.

La femme Mathieu reste un petit moment silencieuse, puis elle dit :

- Pauvre niais que tu es ! Ne t'inquiète pas pour cela. Certes nous allons le renvoyer, le diable, lorsqu'il reviendra.

- Et tu crois pouvoir lui dire neuf vérités ?

- Certes oui, je saurai les lui dire.

- Eh bien, pour voir, dis-m'en une.

- Le soleil est plus beau que la lune.

- Dis-m'en deux.

- Tout homme qui a deux yeux en tête. Peut bien sortir à la fenêtre.

Dis-m'en trois.

- Tout enfant qui a trois ans. Peut bien se tenir debout sur un banc.

- Dis-m'en quatre.

- Toute pouliche qui a quatre ans ; Peut bien porter son maître.

- Et dis-m'en cinq.

- Tout homme qui a cinq doigts à la main ; Peut bien gagner son pain.

- Et dis-m'en six.

- Celui qui a travaillé durant six jours de la semaine. Peut bien se reposer lorsque la cloche sonne,

Et dis-m'en sept.

- Tout homme qui a sept filles à marier. À de quoi réfléchir.

- Et dis-m'en huit.

- Le jour est plus beau que la nuit.

- Et maintenant dis-m'en neuf.

- Tout homme qui a neuf cochons en salé. Peut bien passer un beau jour de Carnaval.

- Eh ! Tu es le diable, pauvre femme, d'avoir trouvé tout ça ?

Mon Dieu, Sainte Vierge ! Tu me sauves de l'enfer !

À partir de ce jour le bon Mathieu ne fit que chanter et siffler toute la journée en rabotant les douelles des comportes...

Les trois mois s'écoulèrent vivement. Le 11 août, vers les cinq heures du soir, le diable arrive.

- Et alors, Mathieu, comment va la besogne ?

- Ça va bien, ça va, bien, fit-il en riant à la dérobée.

- Je viens te rappeler ce que je te dis il y a trois mois.

Tu les as trouvées les neuf vérités ?

- Si je ne les ai pas trouvées je les trouverai. Mais si je t'en dis neuf, il est bien convenu que tu ne prendras pas mon âme ?

- Ce qui est promis, est promis.

Eh bien, pour voir, dis-m'en une.

- Le soleil est plus beau que la lune.

- Dis-m'en deux.

- Tout homme qui a deux yeux en tête. Peut bien sortir à la fenêtre.

- Dis-m'en trois.

- Tout enfant qui a trois ans. Peut bien se tenir debout sur un banc.

- Dis-m'en quatre.

- Toute pouliche qui a quatre ans. Peut bien porter son maître.

- Dis-m'en cinq.

- Tout homme qui a cinq doigts à la main. Peut bien gagner son pain...

Jusqu'ici le diable s'était mis à rire en montrant des dents comme un sanglier. Mais lorsque Mathieu lui eut dit la cinquième vérité, il fit la grimace.

- Sapristi, pensa-t-il, celui-ci est fort. Est-ce que je l'aurai, son âme ?

Et bien, dis-m'en six, reprit-il.

- Celui qui a travaillé durant six jours de la semaine. Peut bien se reposer lorsque la cloche sonne.

- Dis-m'en sept.

- Tout homme qui a sept filles à marier. À de quoi réfléchir...

Maintenant le diable commençait de trépigner et de remuer la queue ; il n'était pas sûr de gagner.

- Et veux-tu m'en dire huit ?

- Le jour est plus beau que la nuit.

- Et dis-m'en neuf.

- Tout homme qui a neuf cochons en salé...

Mathieu n'eut pas le temps d'achever. Aussitôt qu'il eut dit les premiers mots, le diable fit deux sauts vers la porte et s'en fuit tellement vite que personne ne le vit passer nulle part.