vendredi 4 février 2022

La Cabane du Carla, un hébergement de militaires.


Sur la commune d’Auzat, au bas du port de Bouet, on remarque sur la butte dominant les orris des bergers, une construction en pierres semblable mais de forme nettement plus allongée que les constructions pastorales, ce baraquement servait au logement des soldats qui contrôlaient la frontière entre la France et l'Espagne, voici son histoire...


Miquelets et brigandage en haute vallée du Vicdessos dans la documentation écrite consulaire.


Les montagnes de la vallée de Soulcem ont connu des activités de brigandage liées à la présence des troupeaux en estive.

Vers 1750, une lettre des Syndics généraux de la province de Foix rappelle que, pendant l’été, les propriétaires des vallées de Vicdessos et Valferrer envoient chacune de leur côté leurs bestiaux sur les montagnes pour y pacager cinq ou six mois de l’année et il est relaté que dans le temps des guerres de l’Espagne avec la France, tantôt les espagnols venaient y enlever les bestiaux des français et tantôt les français ceux des espagnols et même quelquefois des troupes de « miquelets » de l’une ou l’autre nation faisaient des incursions réciproques dans les vallées, ce qui portaient un préjudice considérable aux habitants.

Une lettre de deux habitants d’Auzat dénonce, à la même époque, qu’une bande de brigands espagnols miquelets leur avait enlevé 200 moutons à la Soucarrane (rive gauche de la haute vallée de Soulcem, en face de la baume des Estrets) et que le berger-gardien du troupeau s’était enfui avec « une très grande peur ». Puis, les mêmes, vers la fin septembre, étaient revenus pour saisir 106 bêtes leur appartenant.

Et le 6 floréal an IX, le maire d’Auzat, suite à l’arrêté du Préfet concernant les mesures à prendre pour la répression du brigandage, et tenant compte que le poste de surveillance établi sur la commune était sans armes ni munitions, demande que l’on se procure, en urgence, armes et munitions, d’autant plus que dans la nuit du 18 au 19 germinal des personnes malintentionnées ont étés aperçues au moment où elles allaient exécuter leur brigandage. ils ont échappé aux poursuites des gardes nationaux, à cause du de fusils et munitions.

Non content d’avoir à lutter contre des actions de brigandage, dans la même année, le 23 brumaire an IX, suite à une maladie contagieuse qui sévit en Espagne, et vu que les mesures provisoires prises semblaient insuffisantes, le Préfet de la Haute-Garonne donna l’ordre d’interrompre toutes communications avec l’Espagne.

Considérant que la position du département de l’Ariège était « critique pour les relations commerciales entretenues avec les espagnols surtout pour le commerce de la laine, marchandise la plus propre à propager la contagion », et vu l’urgence, le Préfet de l’Ariège décréta:

À compter du présent décret, toute communication avec l’Espagne est interdite ainsi que toute circulation de marchandises et notamment la laine et le coton.

En conséquence, vu l’impossibilité d’établir un contrôle sur toute la ligne frontière faute de moyens en hommes de troupe suffisants, il sera établi un poste de cinq soldats à chaque point de passage afin d’empêcher toute introduction d’hommes, de bestiaux ou de marchandises venant de l’Espagne et de faire retourner tout ce qui se présentera à ces points de passage.

Ces mesures rigoureuses ont duré jusqu’à éradication de la maladie et on utilisa un bâtiment isolé à l’extrême frontière pour mettre en quarantaine les voyageurs voulant pénétrer en France.

Pour la commune d’Auzat, le commandant de la force armée fournit le nombre d’hommes suffisants pour établir un poste de cinq hommes au bas du port de Bouet et de celui de Tabescan.

Ces postes furent relevés de façon à ce que la surveillance soit active de jour comme de nuit et là où la force armée était insuffisante, le maire d’Auzat fut chargé de renforcer cette force par trois gardes nationaux ou soldats de la colonne mobile établie dans la commune.

Sur la commune d’Auzat, pour le poste au bas du port de Bouet, le poste a été établi à l’entrée du Carla et l’on remarque sur la butte qui domine le passage des constructions en pierre sèche copiant le modèle des orris, mais de forme nettement plus allongée par comparaison avec les constructions pastorales, car ce baraquement servait au logement des soldats.




Source: Rapport de sondages archéologiques [Soulcem, abris sous roche – Auzat (09)] Pour une archéologie de la montagne Florence Guillot






jeudi 6 janvier 2022

À Sentein il y a très longtemps, au temps de l’ancienne Loi.


     Il y a très longtemps, au temps de l’ancienne Loi dans le Couserans, près de la source du Lez dans le petit village de Sentein vivaient des "hadas", à cette époque on nommait ainsi les Fées dans le Couserans. Peut-être qu’elles sont toujours là, et qu’elles y vivent toujours ? Mais le monde a bien changé et les paysans sont moins nombreux dans les prés pour les rencontrer.

    En été lorsque les Sentenois étaient dans les prés à ramasser les foins, si une hadas venait à passer et que la récolte était rare, elle leur disait pour les consoler : « Amassat-le plan, bilhèu pron n’aurau ! » (Amassez-le bien, peut-être en aurez-vous assez.). Par contre Si la récolte s’annonçait abondante, elle leur conseillait : « Ramassez-le bien, il pourrait vous servir ! ».

    Depuis la croix d’Antras on pouvait voir le linge des hadas étendues au soleil près du Carric traoucatch (rocher troué) qui leur servait d’habitation. Divisée en deux salles, la première renfermait une fontaine où elles allaient boire, ainsi qu’un petit arbre, l’autre leur servaient de lieu de vie.

    Un matin de printemps un vieillard de Sentein nommé Donès trouva dans ses prés un petit hadach (enfant de fée), il le garda chez lui pour l’élever comme son fils. Personne ne vint jamais le réclamer tant que le vieux fut en vie. Mais le soir où il mourut, la mère vint chercher son hadach. Du pied de l’escalier elle l’appela : « Pinquirinèu ! » Le petit lui répondit : « Mamà mia ! » (maman mienne !). Alors la mère lui dit : « Benadit sia eth que t’a plan noirich » (Béni soit celui qui t’a si bien nourri). Elle emmena l’enfant vers la grotte du Carric Traoucatch et les gens du village l’entendirent pleurer longuement.

    Bien sûr on dit : « Ce n'est qu'un conte de fées… ». On sourit de soi. Mais au fond on ne sourit guère. On sait bien que les contes de fées c'est la seule vérité de la vie, même si nous vivons dans un monde où cette poésie a disparu.




samedi 19 septembre 2020

La Saint-Matthieu de mon enfance..

 Vicdessos, 21 septembre 1930.


    A une époque où les distractions à la campagne étaient rarissimes, les foires de Vicdessos le 1 jeudi du mois présentaient pour toute la population du canton une source d’intérêt et un attrait particulier.
    Celle de la St Matthieu, fixée au 21 septembre et consacrée à la vente des moutons, amenait au foirail de Vicdessos une foule considérable, venue de tous les villages du canton, pour participer à cette journée exceptionnelle.

    La veille, un grand branle-bas animait toute la maisonnée ; à maman, incombait le soin de préparer le repas froid pour le lendemain : jambon et saucisson familial, poulet rôti et fromage de même fabrication.
    Mes frères et moi-même tournions autour d’elle en nous querellant, cependant que mon père, parti de bonne heure, assumait la plus rude des besognes, secondé par mon grand-père maternel, Paï, comme nous l’appelions.
    Le troupeau, en effet, avait quitté les pâturages de la haute montagne pour être conduit dans des granges à proximité du village.




    Il s’agissait alors, pour mon père, de choisir et de mettre à part les quelques 70 bêtes qu’il avait l’intention de vendre : les brebis et les moutons les plus anciens, ainsi que les agneaux de l’année.
    Restaient donc pour l’hivernage le bélier, les brebis nourricières et une partie des moutons. Il convenait donc de trier ces ovins, les uns après les autres, pour un équitable partage. Jugez l’ampleur de la difficulté !
    Cette nuit de septembre s’avérait donc courte et angoissante pour tous les bergers concernés. Levés avant l’aurore, encapuchonnés dans leur pèlerine noire, ils prenaient avec leurs bêtes le chemin de Vicdessos, le bâton dans une main et la lanterne à bougie dans l’autre.
    Cousins et amis groupaient leur troupeau pour le déplacement jusqu’au foirail: un berger prenait la tête du troupeau, les autres surveillaient les bêtes récalcitrantes et les agneaux plus lents.
A 7 heures, tout était en place, et le foirail de Vicdessos retentissait des bêlements de tous ces ovins rassemblés.

    Point de barrières entre eux à cette époque; mais chaque éleveur avait sa place traditionnelle dans le foirail; chaque éleveur avait souvent ses clients habituels : commerçants de la plaine, certains venus du Roussillon — c’était le cas pour mon père. Très tôt, dans la matinée, commençait pour lui une séance de « bonimenteur » extraordinaire qui amenait autour de son troupeau une foule de spectateurs.
    Devant ces maquignons à grande blouse bleue, il saisissait par les cornes les plus belles de ses bêtes et commençait aussitôt une géniale promotion : il fallait examiner la coupe de la bête, tâter sous la toison de laine son échine opulente, scruter la dentition , et en conclusion, exprimer l’admiration qu’elle suscitait.
    Spectateur visiblement intéressé, mais impassible après ce dithyrambe, le maquignon, brusquement, lançait une offre et un prix...



    Exclamation tonitruante de mon père, qui reprenait une autre bête pour manifester sa réprobation à l’égard de l’acheteur qui méconnaissait la qualité de « sa marchandise ». Et c’est vrai que son troupeau suscitait l’envie des acheteurs et l’admiration des badauds !
Commençait alors un marchandage interminable. Mon père baissait son prix, le maquignon augmentait le sien, mais pas d’entente possible.
D’un geste coléreux, mon père renvoyait alors au milieu du troupeau la bête expertisée.
Le commerçant s’éloignait alors, discutait avec un de ses amis et revenait bientôt pour un dernier marchandage qui se soldait par un accord. Une tape énergique sur la main stigmatisait la fin de la discussion.
    Mais attention ! une réserve importante attendait les acheteurs.
    Pas question pour eux de choisir dans le troupeau les plus belles bêtes : il fallait amener pour le prix convenu, soit tous les moutons, soit toutes les brebis, ou les agneaux et les agnelles.
Dans la poche intérieure de sa blouse, le commerçant extrayait un carnet noir à élastique et commençait ses calculs.

    Les yeux mi-clos et immobile, mon père, presque aussitôt annonçait le résultat.
    Ah ! les regards admiratifs de l’assistance devant cet étonnant berger si doué en calcul mental.
    L’affaire conclue, il prenait le temps de « casser la croûte » tout en surveillant ses bêtes jusqu’à ce que les commerçants acheteurs donnent l’ordre de les conduire vers leurs camions respectifs.
    S’ensuivaient alors des commentaires entre bergers pour savoir celui qui avait obtenu le meilleur prix. Certains n’avaient pas vendu tout le cheptel, ils seraient dès lors obligés de les amener à la foire de St-Michel, le 29 Septembre à Tarascon.
    A ma connaissance, ce ne fut jamais le cas de mon père.
Lorsqu’en août 1932, une congestion cérébrale le terrassa, les acheteurs habituels cherchèrent son troupeau dans le foirail.
Aidé par des parents: et des amis, mon frère François, âgé de 20 ans; assura tant bien que mal sa succession dans la vente qui s’avéra moins satisfaisante.




    Moutons et brebis partis vers le Roussillon dans leurs camions, mon père redevenait le « bon vivant » qu’il était.
    La journée avait été rude, mais fructueuse.
    Il convenait de la terminer jovialement. A la boucherie Maury, maman avait acheté deux magnifiques tranches de veau, pour les apporter à l’aubergiste de Vicdessos. Rôties par ses soins dans une grande poêle agrémentée d’une superbe persillade, elles faisaient le bonheur de la famille et des amis, vers 2 ou 3 h de l’après-midi. Vin et limonade coulaient à flots.
    Nous nous régalions des fruits achetés à la foire : raisins juteux, pêches odorantes et figues violettes, inconnus dans nos régions de montagne.

    Sur le chemin du retour, Maman effectuait quelques achats en vue de la rentrée scolaire : nos tabliers d’écoliers, les sabots de bois vernis et autres accessoires.
    Car le 1 octobre approchait. 
    Dans les prairies de Sauzeil, les Colchiques mauves nous rappelaient, avec un pincement de cœur, la fin des grandes vacances. 
    Ma Grand-mère paternelle, restée à la maison, guettait notre retour. Avec les échos de la foire, nous lui apportions la coque traditionnelle et les fruits de la plaine.
Elle attendait un peu plus tard, avec inquiétude, le retour de mon père.
    Sur la grande table de chêne de la cuisine, il comptait le gros paquet de billets qui remplissaient son portefeuille.
    Ils étaient la principale source de revenus pour toute une année de travail, un travail rude et sans relâche.
Rangés dans le secrétaire de la chambre, ils assureraient, douze mois durant, les dépenses de la famille. . .
    C’est pourquoi je me souviens encore, qu’un soir de la St-Matthieu, ma grand-mère dont je partageais le lit, m’a réveillée au milieu de la nuit et m’a fait lever. . . pour voir s’il n’y avait pas un voleur dans la maison.

    Ainsi se passait la Foire de Saint-Matthieu dans notre beau pays d’Ariège au début du XX° siècle.

La Mandrette, mémoire d’Ariège.