jeudi 24 décembre 2015

- Une nuit de Noël dans le Vicdessos.

Dans le petit village de Marc en Ariège, il y a très longtemps.

Nous étions de retour de la messe de minuit. Annie, la fille d'Eugène, était encore toute émerveillée par la crèche que le curé avait installée dans le transept de la petite église Sainte-Anne d'Auzat.


Au fait, Annie ! dis-je, on raconte que l'âne et le bœuf de la crèche soufflaient sur l'Enfant-Jésus pour le réchauffer, mais cet âne et ce bœuf, tu sais d'où ils venaient ? Et pourquoi étaient-ils là ?

Non ! répondit Annie, je ne le sais pas ! Moi, je le sais, ils venaient de chez nous ! et pas bien loin d’ici !

Il y avait près d’ici, en Ariège, dans le petit village de Marc, un brave paysan qui s'appelait Constant Puyo. Puyo était pauvre, c'était un homme simple qui ne parlait pas beaucoup aux hommes et qui avait fini par ressembler aux quatre animaux qui vivaient avec lui : un coq à deux crêtes, une chèvre à deux mamelles, un bœuf à deux cornes et un âne à deux oreilles. Tout le monde vivait là, dans une cabane misérable, sur un terrain qui n'appartenait à personne, parce qu'il faut bien que les pauvres puissent s'asseoir quelque part. Puyo et ses animaux, à force de vivre ensemble, se comprenaient et s'aimaient. Puyo leur parlait, ils répondaient.

Les bêtes de Puyo sentaient que le monde changeait : l'eau du ruisseau de l’Artigue, le vent dans les arbres du bois du Bédat, les chants des oiseaux et le croassement des rainettes dans la nature racontaient tous un grand secret qui devait arriver dans un pays lointain.


Un matin, tandis que Puyo regardait l'aurore se lever sur le Pic de Thomasset, le coq perché sur la cabane prit la parole : "Jésus, le fils de Dieu, va naître !" Le bœuf qui ruminait dans l’étable leva lentement sa tête encornée et dit : "Et où ? Et où ?" La chèvre qui broutait les premières fleurs de genêt de la journée agita la clochette qui pendait à son cou et dit la bouche pleine : "À Bethléem ! À Bethléem !" L'âne bondit de joie, se roula par terre en disant : « Nous y allons ! Nous y allons ! ».

Puyo, que rien ne retenait ici et qui avait toujours rêvé de voir du pays, pensa qu'il y avait partout des rivières et des prés, que sa chèvre lui donnerait du lait, que son bœuf et son âne le porteraient tour à tour, que son coq le réveillerait, et avant le lever du soleil, il avait fermé la porte de sa cabane et il était en route.

Où allait-il, demanda Emilie, la voisine d'Eugène ?
À Bethléem, puisque la chèvre l'avait dit.
Où était Bethléem ?
Du côté du levant, là où le soleil se lève, bien sûr...
Et Puyo marcha vers le soleil…


"Il en traversa des pays, vous pouvez me croire ! Il suivit le ruisseau de l’Artigue et quitta l’Ariège au Port de l’Artigue, puis il suivit la vallée de Lladorre. Ils traversèrent l’Hispanie pour atteindre les colonnes d’Hercule où là, ils traversèrent la mer Méditerranée sur une embarcation. Il en eut des aventures, et de toutes espèces, mais chaque fois un de ses animaux lui sauva la vie !

Il suivit des rivières et des fleuves, escalada des cols, traversa des déserts, sans se plaindre, parce que quelque chose dans son cœur le soutenait. En traversant la Mauretanie, la chèvre qui n'avait plus à brouter que des cailloux et de l'herbe très courte, fit un caprice de chèvre des alpages, et dit : - Bethléem m'embête, je retourne chez nous ! Elle n'avait pas fait vingt pas, qu'un lion sortit de nulle part et la mangea.


Le lendemain, le coq, de mauvaise humeur, ne réveilla pas Puyo. La pauvre chèvre était son amie, et il regretta d'avoir parlé :

Après tout, est-ce que je sais s'il naîtra seulement ?
Il se dressa sur ses pattes et dit, solennel :
Je retourne chez nous !
Il avait à peine fait vingt pas, qu'un aigle tomba sur lui et l'emporta.
Puyo était triste. Lui aussi regrettait sa cabane dans son village de Marc, mais il n'osait pas le dire, à cause du lion et de l'aigle.
Un jour, pourtant, épuisé dans le désert de Libye, il se coucha sur le sable à l'ombre de l'âne et soupira :

Je veux rentrer chez moi ! Vous, allez où vous voudrez.
Et il s'endormit. Il est probable qu'il mourut de soif.


L'âne et le bœuf continuèrent leur marche vers le soleil, ils traversèrent la basse Égypte, mais ils ne savaient où aller. Le bœuf avait dit : "Et où ?", l'âne avait dit : "Nous y allons !". Mais ils n'en savaient pas plus... Ils restèrent huit jours sans manger et sans boire, mais ils ne se plaignaient pas. En traversant le désert du Sinaï, une étoile était apparue dans le ciel, une merveilleuse étoile visible de jour comme de nuit. Le bœuf dit : - Suivons-la, nous y serons bientôt. L'âne répondait : J'en suis sûr ! Oui, suivons-la.

Ils la suivirent donc jusqu'à ce qu'elle s'immobilise, là au sommet d'une colline, ils virent à leurs pieds un village tout blanc dans le coucher du soleil. Ils dirent ensemble : "Il y aura ici un peu d'eau et un peu de foin". Ils arrivèrent comme des mendiants, tout pelés et tout maigres, mais les hommes les chassaient de partout…


Enfin, ils trouvèrent une étable abandonnée tout près des portes de la ville. La crèche était garnie de vieille paille et de l'eau sale coulait devant la porte. "Dormons ici, demain nous repartirons pour Bethléem.”

Cette nuit ! C'était la nuit du 25 décembre, la nuit de la nativité…

Depuis le lever du jour, Joseph et Marie cherchaient une hôtellerie, mais il n'y en a pas pour des gens si pauvres ; on les rebute, on les dédaigne, et ils sont contraints de chercher asile dans cette étable isolée. L'Enfant-Jésus vint naître dans cette étable, et sa maman Marie le posa dans la crèche à côté de l’âne et du bœuf. Il y eut là-dedans tant de lumière et tant de joie que l'âne et le bœuf comprirent qu'ils étaient enfin arrivés à Bethléem ! La nuit était froide, l’âne et le bœuf soufflèrent sur l’Enfant-Jésus pour le réchauffer, tout en pleurant de tendresse et d’émotion, ils regrettaient que le coq, la chèvre et Puyo, leur maître, ne fussent pas avec eux.”

"Et ils sont revenus en Ariège, demanda Annie ?”

"Non, Annie, l’âne fut choisi par Marie pour devenir sa monture et fuir en Égypte pour protéger Jésus de la colère du roi Hérode, et le bœuf aida Joseph pour les travaux des champs. Demain je retourne voir la crèche, dit-elle en montant se coucher.


La veillée prenait fin. Après avoir salué mes amis, je rentrais chez moi par le chemin tout couvert de neige qui longeait les maisons. La lune dans le grand ciel étoilé éclairait mes pas et posait ses rayons mauves sur les crêtes enneigées du Montcalm, et la neige chantait sous mes pas…