Les feux oubliés de la Noël.
Les feux de la Saint-Jean d’été renaissent aujourd’hui un peu partout, célébrés à nouveau comme des fêtes populaires. En revanche, les feux de la Noël ont presque totalement disparu des mémoires. Et pourtant, pendant des générations, ils ont illuminé la nuit la plus longue de l’année, celle du solstice d’hiver, lorsque le soleil semblait mourir avant de renaître.
Cette tradition ne s’est maintenue que dans quelques régions des Pyrénées. En Catalogne et en Aragon, elle a résisté au temps. En Andorre, par exemple, après la Missa del Gall, la messe de minuit, les jeunes parcouraient le village à la recherche de tout ce qui pouvait brûler. Ils formaient un grand tas sur la place publique et y mettaient le feu. Dans le Serrablo aragonais, cette cérémonie, déplacée au début du mois de janvier, prenait la forme d’une collecte : les jeunes passaient de maison en maison pour récupérer ce que les habitants ne souhaitaient plus conserver. À Sabiñánigo, ce feu hivernal devint peu à peu une sorte de défoulement collectif, où l’on brûlait les objets les plus inattendus.
Le foyer, cœur sacré de la maison.
Si les grands feux ont presque disparu des coutumes populaires, de nombreux rites de Noël ont longtemps continué à se dérouler autour du foyer domestique : la Llar en Catalogne, le Laré dans les Pyrénées gasconnes. Ces mots semblent encore porter l’écho des dieux Lares, protecteurs de la maison dans l’Antiquité romaine. Les Lares Familiaresveillaient sur chaque foyer, où une flamme sacrée devait brûler sans interruption.
De ce caractère sacré du feu découle peut-être une croyance catalane encore vivace : cracher dans le feu attire le malheur sur celui qui commet cet affront… et sur toute sa maison.
Noël, renaissance du soleil
La fête de saint Jean l’Apôtre, célébrée à la fin de l’année, coïncidait avec le renouveau du soleil au solstice d’hiver, héritage direct de l’ancienne fête du Sol Invictus des cultes de Mithra. Bien des coutumes de la nuit de Noël dans les maisons pyrénéennes trouvent leur origine dans ces traditions préchrétiennes.
La renaissance du soleil s’incarnait dans un feu nouveau, soigneusement préparé. Ce n’était pas une simple image symbolique : dans le pays de Foix et en Andorre, un membre de la famille était tiré au sort pour rester près du feu pendant la messe de minuit. On craignait en effet qu’en cette nuit particulière, le danger d’incendie ne soit plus grand que jamais.
Nettoyer, purifier, préparer la lumière.
En Euskadi, on pratiquait encore le ramonage de la cheminée à cette période de l’année. Autrefois, ce geste rendait hommage au feu nouveau incarné par Olentzero, personnage mythique censé apporter la bûche de Noël par la cheminée. Peu à peu, ce rite s’est vidé de sa portée symbolique pour devenir une simple habitude d’entretien.
En Ariège, ces pratiques ont subsisté jusqu’à l’entre-deux-guerres. À Orlu, Bélesta ou Larcat, les paysans nettoyaient soigneusement les étables, chassaient les araignées, offraient une litière fraîche aux animaux. À Bélesta, le maître de maison allait jusqu’à brûler une touffe de poils à la queue des bovins, geste à la fois protecteur et purificateur.
Le jeûne et le feu maîtrisé
Autre rite d’attente de la Lumière : le jeûne de la veille de Noël. En Couserans, on l’appelait le jeûne det caliu. Celui qui l’observait strictement toute la journée était censé posséder un pouvoir étonnant : poser à main nue un caliu, un tison ardent, sur la nappe du repas du soir, sans se brûler ni abîmer le tissu.
La chandelle et les signes de l’avenir.
Dans certaines régions, la renaissance du soleil se symbolisait par un cierge. À Labastide-de-Sérou et à Mirmont, il y a encore une cinquantaine d’années, les enfants allaient chercher des bougies chez l’épicier. Le plus jeune de la famille devait l’allumer au début de la veillée.
À Larcat, le dernier enfant de la maison allumait également un cierge aux premiers coups de l’Angélus. Selon l’inclinaison de la flamme, on prédisait la qualité de l’année à venir : la droite annonçait la Fortune, la gauche le Malheur.
À Montségur, le grand-père allumait une bougie au-dessus de la tête du garçon aîné en prononçant cette bénédiction :
« T’alumi Iou cierge sul cap,
Que sios la lum de l’oustal,
Dious te benasisco e te fas creiche. »
« J’allume un cierge sur ta tête.
Sois la lumière de la maison.
Que Dieu te bénisse et te fasse grandir. »
La bûche, offrande et générosité.
Le grand moment de la Noël, avant la messe de minuit, arrivait avec la mise à feu de la bûche. Choisie dès le printemps précédent et mise à sécher, elle ne brûlait qu’après une véritable cérémonie d’offrande au feu.
L’homme le plus ancien de la famille versait sur la bûche du sel, du vin, du pain ou du gâteau. En Bigorre, cette bûche ornée portait encore le nom d’eth catsau de Nadau, la parure de Noël. Ces gestes anciens ont peu à peu évolué pour donner naissance aux cadeaux déposés devant la cheminée.
Dans le pays d’Olmes, on creusait de petites cavités dans la Turro de Nadal, où l’on cachait des friandises. Les enfants tapaient sur la bûche en criant :
« Degorjo ! Degorjo ! »
— Rends ! Dégorge !
La bûche « offrait » alors ses présents.
Cette tradition, toujours vivante en Andorre, porte le nom imagé de Fer cagar el tió.
La bûche qui protège toute l’année.
La combustion de la bûche obéissait à de nombreuses règles. Elle devait parfois brûler jusqu’au premier de l’an, parfois durer jusqu’au Mardi gras. Dans le Vicdessos, on conservait même un tison pour allumer la bûche de l’année suivante, assurant ainsi la continuité symbolique des saisons.
Les cendres du tiso de Nadal possédaient de grandes vertus : elles protégeaient les animaux, fertilisaient les champs, éloignaient la grêle et la foudre. En Couserans, le cap d’oustau faisait le tour de la ferme avant le lever du soleil avec un tison, pour chasser maladies, renards et vermine.
Le repas des morts.
La nuit de Noël était aussi un moment privilégié de contact avec l’au-delà. Jadis, les fées venaient au foyer ; plus tard, ce furent les anges, la Vierge ou l’Enfant Jésus. Une croyance persistante voulait que les morts de l’année reviennent durant la messe de minuit.
En Comminges, la porte restait entrouverte, une chandelle éclairait la table dressée pour eux. Le lendemain, le pain laissé était partagé entre les vivants. En Ariège, le soupa de los amos attendait également les disparus.
À Larcat, il suffisait de laisser un pain entamé avec un couteau planté dedans pour nourrir… saint Prim, personnage mystérieux, toujours affamé, chargé de protéger la maison des incendies. Ce saint absent des calendriers pourrait bien être l’ultime visage christianisé d’un ancien dieu Lare.
Le pain de Noël se conservait toute l’année. On lui prêtait mille vertus : faciliter les naissances, éloigner la rage, conjurer la stérilité… Certains jeunes Ariégeois allaient même tirer leur numéro de conscription avec trois petits morceaux de ce pain dans leur poche, espérant forcer le destin.
Je vous souhaite un Noël plein de douceur et de lumière. Jean Jacques
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