C’était un soir d’automne, de ceux où la lumière s’attarde un peu sur les crêtes avant de s’éteindre. À Antras, les maisons commençaient à refermer leurs volets, et l’air sentait le bois froid et la terre humide. Victor Gendre s’était assis sur le muret, face à la montagne. À côté de lui, Pierre Lemoine balançait doucement ses jambes, trop courtes encore pour toucher le sol.
Après un long silence, Victor parla, d’une voix calme, comme s’il racontait une chose qu’on lui avait confiée.
« Tu vois, Pierre, là-haut, au-dessus du village… juste au-dessus d’Antras, à vingt-six kilomètres au sud-ouest de Saint-Girons. Les anciens disaient qu’il y avait deux grottes dans la montagne. Pas des grottes comme les autres. Des grottes habitées par des fées.
On ne les voyait presque jamais. Mais les jours de grande lessive, quand le matin était encore frais, on retrouvait du linge blanc étendu à l’entrée des cavités. Du linge propre, bien plié. Alors les gens passaient sans s’arrêter. Ils faisaient semblant de ne rien voir, par respect. Parce que ces choses-là, quand on les regarde trop, elles s’en vont.
Il arrivait pourtant que les fées descendent jusqu’au village. Pas pour effrayer. Juste pour dire un mot à celui qui hésitait, ou rappeler à l’ordre celui qui avait oublié ce qui est juste. Elles parlaient peu, mais quand elles parlaient, on les écoutait.
Et puis, plus bas, vers Amélie-les-Bains, il y a les sources chaudes. Celles-là, Pierre, elles sont bien plus vieilles que nos maisons. Les Romains y venaient déjà pour se soigner. Ils laissaient au bord de l’eau des médailles, et même de petits rouleaux de plomb avec des mots gravés dessus. Des mots qu’on ne sait plus lire aujourd’hui. Peut-être qu’ils demandaient à l’eau de les guérir, ou de les protéger.
Mais avant les Romains, avant même que les hommes sachent écrire, il y avait déjà des pierres gravées de signes étranges. On en a retrouvé bien plus tard, comme si la terre avait attendu son heure pour parler. Certains disent que c’était un cercle sacré. D’autres un temple dédié à une déesse des sources. Moi, je ne sais pas.
Ce que je sais, Pierre, c’est que l’eau, la pierre et la montagne ont une mémoire. Et quand on prend le temps d’écouter, elles se souviennent encore. »
Victor se tut. Le silence revint doucement, avec le bruit lointain d’un chien et le souffle du vent dans les arbres. Pierre resta un moment sans parler, les yeux fixés sur la montagne.
Puis il demanda, très doucement :
« Et si on est sage… tu crois qu’elles racontent encore leurs histoires ? »
Victor sourit, posa sa main sur l’épaule de l’enfant, et répondit simplement :
« Oui. Mais seulement à ceux qui savent écouter. »
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