Il y a bien longtemps, durant l’hiver 1899, j’ai recueilli à Balesta une légende que m’a racontée une habitante dont le nom m’échappe aujourd’hui. Je me souviens cependant qu’elle vivait chemin de Pech Filou. Voici cette légende qu’elle m’a contée, la légende des Enchantées.
Autrefois… écoutez bien, car ces histoires se murmurent encore dans le vent des montagnes du pays d’Olmes. Autrefois, vous dis-je, il y avait des enchantées : des créatures anciennes et mystérieuses, qui semblaient flotter entre ombre et lumière. Aujourd’hui, vous les appelleriez des fées. Elles vivaient là, jusqu’à la fin de ce qu’on appelait la mauvaise loi, une époque lointaine, bien avant la religion catholique. Personne ne sait exactement quand ni pourquoi, mais on raconte que cette loi, noire et pesante, maintenait leurs secrets bien cachés dans les entrailles des montagnes.
Leur palais ? Ah, c’était la grotte de Rieufourcant, au sud de Balesta. Imaginez un palais souterrain, sombre et scintillant à la fois, où la reine des enchantées régnait, entourée de ses compagnes silencieuses. Mais elles ne vivaient pas toutes là-bas, non… certaines avaient élu refuge dans la grotte de l’Homme Mort. On dit que cette caverne s’étend sur une lieue et demie, un royaume de pierre et d’ombre, empli de statues figées, de grands piliers… et, suspendues à la voûte, deux grandes oreilles de porc, comme des sentinelles grotesques.
Au centre de cette caverne coule un ruisseau, mystérieux et infranchissable. Aucun homme, jamais, n’avait pu le traverser tant que régnait la mauvaise loi, ni même la méchante lignée de ce temps-là. Mais un jour, le poids de cette loi s’effondra, et le chemin s’ouvrit. Les hommes purent enfin franchir ce ruisseau, et là, au sol… ils aperçurent des empreintes, des traces palmées que seuls les pieds des enchantées pouvaient laisser.
Mais attention… à chaque fois que vous murmurerez leur nom, faites le signe de la croix. Elles n’aiment pas qu’on parle d’elles, voyez-vous.
Pour éviter la poussière et la boue, les enchantées avaient même bâti un pont, un pont de légende ! Il partait du sommet du roc de l’Homme Mort et s’étirait jusqu’à la montagne de Plantaurel. Aujourd’hui encore, si vous regardez bien, vous verrez les restes : d’énormes blocs de rocher, chacun pesant sept ou huit quintaux. De là-haut, ce pont semblait flotter dans le vide, comme une route vers un autre monde.
Et il y a encore un autre endroit… tout près de la fontaine de Fontestorbes, où l’eau surgit et disparaît comme un souffle intermittent. Là, au-dessus, se trouve une grotte avec un gouffre, le gouffre des Corbeaux. Il est si profond qu’il ressemble à un puits sans fond. Penchez-vous, et si vous écoutez bien, vous entendrez peut-être l’eau murmurer, là-bas, dans l’obscurité. C’est ici que les enchantées venaient laver leur linge. Mais elles ne faisaient pas comme nous, non, non… elles utilisaient un battoir en or, un objet splendide qui captait la moindre lumière, même dans cette obscurité profonde.
Puis, un jour, tout changea. Quand la bonne loi s’établit, on dit que les enchantées disparurent d’un coup, comme un souffle emporté par le vent. Mais elles laissèrent derrière elles ce fameux battoir en or, au fond de leur lavoir mystérieux. Et il y est encore, dit-on, scintillant sous la terre.
Pourtant, personne n’a jamais osé aller le chercher. Vous vous demandez pourquoi, n’est-ce pas ? Ah, il y a une condition, une seule, mais elle est terrifiante… Pour trouver ce battoir d’or, il faut s’y rendre seul, dans le silence glacé de minuit, et surtout… sans lumière.
Alors, la prochaine fois que vous marcherez près des montagnes de Belesta, dans les forêts de sapins, à la nuit tombée, écoutez bien les murmures du vent, et si vous sentez une brise douce effleurer votre visage, ce sont peut-être les enchantées, encore là, veillant sur leurs secrets.
Cette femme m’a semblé digne de confiance, et je n’ai aucune raison de douter de ses paroles.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire