Aujourd’hui, permettez-moi de vous emmener dans les recoins secrets de la grotte de Malarnaut, nichée entre Durban et Montseron, là où les anciens murmurent des légendes comme des secrets égarés, portés par le souffle du vent.
Il y a cinq cents ans, ou peut-être bien plus, cette grotte était le refuge d’une caravane de fées mystérieuses, drapées de robes blanches comme des voiles de brume effleurant l’aurore. Ces créatures éthérées, aux pieds palmés comme ceux des canards, préservaient jalousement leur étrange particularité. Le jour, elles restaient à l’abri, comme des ombres figées dans le silence ; mais lorsque la nuit étendait son manteau noir, tout changeait. Alors, la grotte s’animait d’un tumulte mystérieux, un brouhaha étrange, comme un foirail enchanté sous la lueur pâle de la lune.
Les jeunes curieux s’approchaient, discrets, espérant surprendre quelques mots murmurés dans l’obscurité. Un soir, Jeannot de Bogue, dont l’ouïe fine était légendaire, capta ces mots : « Demain, le temps sera idéal pour semer les haricots. » La nouvelle se répandit tel un vent léger, de hameau en hameau, et tous se précipitèrent à la terre. Cette année-là, les champs se courbèrent sous une abondance inédite ; les cosses, lourdes et pleines, ployaient les tiges comme jamais auparavant.
Un autre jour, Jacques, le forgeron du village, peinait à réparer un soc fendu. Un souffle étrange lui parvint, doux comme un murmure nocturne : « Asperge-le de sable fin, et il tiendra. » Jacques suivit le conseil, et le soc réparé, solide comme un roc, se mit à traîner une montagne de terre.
Les fées avaient leurs propres rituels, et l’un d’eux les amenait chaque nuit au ruisseau des Francou, où elles lavaient leur linge sous le voile de l’obscurité. C’est là que Pierrot d’Ourdas, fasciné, aperçut l’une d’elles. Elle était belle comme un lis, son teint d’une blancheur éclatante, ses yeux aussi azurés que le ciel d’été. Épris, Pierrot lui demanda sa main. La fée, un sourire énigmatique aux lèvres, répondit : « Je le veux, mais tu devras jurer, sur ton honneur, de ne jamais révéler mon secret. » Pierrot, curieux, s’inclina : « Quel secret ? » « Mes pieds palmés, » répondit-elle, « comme ceux des oies. » Il jura, et le mariage fut célébré dans la joie. Deux jours durant, la bourrée résonna sous les vieux ormeaux de Durban, tandis que le vin coulait à flots.
Ils s’établirent dans le petit village de Francou, et eurent deux enfants, un garçon et une fille, aussi lumineux et doux que les rayons du soleil perçant la canopée. Leur bonheur semblait sans fin, jusqu’au soir de la fête patronale. Pierrot, le cœur égaré par le vin, se confia imprudemment à un ami : sa femme avait les pieds palmés, « comme ceux des canards. » La rumeur se répandit, murmurée par des lèvres perfides, et la fée l’apprit bien vite.
Sans un mot, elle se tourna vers la grotte de Malarnaut, emportant avec elle le poids de la trahison. Ni les supplications de Pierrot, ni les pleurs de leurs enfants ne purent l’arrêter. Dans sa douleur, Pierrot, rongé par la vengeance, décida d’agir. Aidé des hommes du village, il scella l’entrée de la grotte avec des feuilles de fougère, des fagots d’aulne et de frêne, entassant tout ce qu’il pouvait trouver. Puis, dans la nuit noire, ils allumèrent un feu d’une telle intensité que la fumée semblait prête à engloutir la montagne elle-même.
Depuis ce jour, la grotte est restée figée, silencieuse, frappée par une malédiction sans nom. Plus personne n’a entendu le doux bourdonnement des fées de Malarnaut. Plus aucune d’entre elles n’a été vue, ne lavant plus son linge au ruisseau des Francou. La grotte repose désormais, sombre et immobile, comme un tombeau oublié, et même les faucons qui y nichent semblent y vivre sans crainte, loin des voix perdues et des murmures enchantés.