lundi 11 novembre 2024

Les fées de la grotte de Malarnaut.

 


Aujourd’hui, permettez-moi de vous emmener dans les recoins secrets de la grotte de Malarnaut, nichée entre Durban et Montseron, là où les anciens murmurent des légendes comme des secrets égarés, portés par le souffle du vent.

Il y a cinq cents ans, ou peut-être bien plus, cette grotte était le refuge d’une caravane de fées mystérieuses, drapées de robes blanches comme des voiles de brume effleurant l’aurore. Ces créatures éthérées, aux pieds palmés comme ceux des canards, préservaient jalousement leur étrange particularité. Le jour, elles restaient à l’abri, comme des ombres figées dans le silence ; mais lorsque la nuit étendait son manteau noir, tout changeait. Alors, la grotte s’animait d’un tumulte mystérieux, un brouhaha étrange, comme un foirail enchanté sous la lueur pâle de la lune.

Les jeunes curieux s’approchaient, discrets, espérant surprendre quelques mots murmurés dans l’obscurité. Un soir, Jeannot de Bogue, dont l’ouïe fine était légendaire, capta ces mots : « Demain, le temps sera idéal pour semer les haricots. » La nouvelle se répandit tel un vent léger, de hameau en hameau, et tous se précipitèrent à la terre. Cette année-là, les champs se courbèrent sous une abondance inédite ; les cosses, lourdes et pleines, ployaient les tiges comme jamais auparavant.

Un autre jour, Jacques, le forgeron du village, peinait à réparer un soc fendu. Un souffle étrange lui parvint, doux comme un murmure nocturne : « Asperge-le de sable fin, et il tiendra. » Jacques suivit le conseil, et le soc réparé, solide comme un roc, se mit à traîner une montagne de terre.

Les fées avaient leurs propres rituels, et l’un d’eux les amenait chaque nuit au ruisseau des Francou, où elles lavaient leur linge sous le voile de l’obscurité. C’est là que Pierrot d’Ourdas, fasciné, aperçut l’une d’elles. Elle était belle comme un lis, son teint d’une blancheur éclatante, ses yeux aussi azurés que le ciel d’été. Épris, Pierrot lui demanda sa main. La fée, un sourire énigmatique aux lèvres, répondit : « Je le veux, mais tu devras jurer, sur ton honneur, de ne jamais révéler mon secret. » Pierrot, curieux, s’inclina : « Quel secret ? » « Mes pieds palmés, » répondit-elle, « comme ceux des oies. » Il jura, et le mariage fut célébré dans la joie. Deux jours durant, la bourrée résonna sous les vieux ormeaux de Durban, tandis que le vin coulait à flots.

Ils s’établirent dans le petit village de Francou, et eurent deux enfants, un garçon et une fille, aussi lumineux et doux que les rayons du soleil perçant la canopée. Leur bonheur semblait sans fin, jusqu’au soir de la fête patronale. Pierrot, le cœur égaré par le vin, se confia imprudemment à un ami : sa femme avait les pieds palmés, « comme ceux des canards. » La rumeur se répandit, murmurée par des lèvres perfides, et la fée l’apprit bien vite.

Sans un mot, elle se tourna vers la grotte de Malarnaut, emportant avec elle le poids de la trahison. Ni les supplications de Pierrot, ni les pleurs de leurs enfants ne purent l’arrêter. Dans sa douleur, Pierrot, rongé par la vengeance, décida d’agir. Aidé des hommes du village, il scella l’entrée de la grotte avec des feuilles de fougère, des fagots d’aulne et de frêne, entassant tout ce qu’il pouvait trouver. Puis, dans la nuit noire, ils allumèrent un feu d’une telle intensité que la fumée semblait prête à engloutir la montagne elle-même.

Depuis ce jour, la grotte est restée figée, silencieuse, frappée par une malédiction sans nom. Plus personne n’a entendu le doux bourdonnement des fées de Malarnaut. Plus aucune d’entre elles n’a été vue, ne lavant plus son linge au ruisseau des Francou. La grotte repose désormais, sombre et immobile, comme un tombeau oublié, et même les faucons qui y nichent semblent y vivre sans crainte, loin des voix perdues et des murmures enchantés.




































La fontaine intermittente de Fontestorbe.

 


Après vous avoir conté hier la légende des Enchantées, restons encore un moment dans les mystères de Bélesta. Suivez l’Hers vif, et, à un kilomètre au sud du village, vous découvrirez la fontaine intermittente de Fontestorbes. Un lieu aussi fascinant que capricieux, où l’eau jaillit puis s’efface, entre 20 et 40 minutes, au rythme des saisons. On trouve bien une explication scientifique sur Wikipédia, mais que vaut-elle face aux véritables récits ? La vraie histoire est bien plus envoûtante, et laissez-moi vous la dévoiler.

Il y a de cela des âges oubliés, sur le plateau de Sault, les étés s’abattaient comme une malédiction sur les prés, asséchant la terre jusqu'à la fissurer. Pour tenter de sauver les prairies assoiffées, les habitants creusèrent des fossés, élevèrent des vannes, dressèrent des digues, et conduisirent le ruisseau de Rieuforcant vers les champs. Mais dès la tombée de la nuit, les ouvrages s’écroulaient mystérieusement, les fossés se comblaient, l’eau s’échappait.

Inquiets, les villageois décidèrent de veiller. Au cœur de la première nuit, ils virent apparaître une créature étrange : une bête massive, au pelage sombre, dressée sur ses pattes arrière, ses cornes menaçantes brillant à la lueur des étoiles. Les hommes frémirent. Certains murmurèrent que c’était le diable lui-même venu dérober l’eau. Mais le démon, irrité par cette accusation, se manifesta et révéla le véritable coupable : un homme du village, enveloppé dans une peau d’ours, les cornes de bœuf posées en couvre-chef, jouant à effrayer les villageois pour détourner leur bien le plus précieux.

Le diable, d’une voix grondante et funeste, le condamna : « À ta mort, je t’attendrai et te condamnerai à tourner l’eau, pour l’éternité. » Et lorsqu'il mourut, l’homme fut précipité dans les profondeurs infernales. Là, sous la sapinière de Bélesta, le démon le fit prisonnier dans un lac souterrain. « À la saison où tu asséchais les prés, tu retiendras désormais l’eau. Ta peine sera levée seulement lorsque tu parviendras à bloquer l’eau une heure entière sans qu’elle s’échappe. »

Mais, trop exténué pour réussir, le damné laissait invariablement l’eau jaillir. Et depuis, la fontaine de Fontestorbes, au pied d’un imposant rocher, s’élance et s’efface, rebelle, à jamais gardienne d’une malédiction ancienne, caprice d’un destin enchanté.

Cette explication, je la tiens de la conteuse de Bélesta dont je ne connais toujours pas le nom. Mais jamais je n’aurais osé douter des récits de cette dame aux mots empreints de sortilèges et de mystères.







dimanche 10 novembre 2024

La légende des Enchantées.


Il y a bien longtemps, durant l’hiver 1899, j’ai recueilli à Balesta une légende que m’a racontée une habitante dont le nom m’échappe aujourd’hui. Je me souviens cependant qu’elle vivait chemin de Pech Filou. Voici cette légende qu’elle m’a contée, la légende des Enchantées.


Autrefois… écoutez bien, car ces histoires se murmurent encore dans le vent des montagnes du pays d’Olmes. Autrefois, vous dis-je, il y avait des enchantées : des créatures anciennes et mystérieuses, qui semblaient flotter entre ombre et lumière. Aujourd’hui, vous les appelleriez des fées. Elles vivaient là, jusqu’à la fin de ce qu’on appelait la mauvaise loi, une époque lointaine, bien avant la religion catholique. Personne ne sait exactement quand ni pourquoi, mais on raconte que cette loi, noire et pesante, maintenait leurs secrets bien cachés dans les entrailles des montagnes.

Leur palais ? Ah, c’était la grotte de Rieufourcant, au sud de Balesta. Imaginez un palais souterrain, sombre et scintillant à la fois, où la reine des enchantées régnait, entourée de ses compagnes silencieuses. Mais elles ne vivaient pas toutes là-bas, non… certaines avaient élu refuge dans la grotte de l’Homme Mort. On dit que cette caverne s’étend sur une lieue et demie, un royaume de pierre et d’ombre, empli de statues figées, de grands piliers… et, suspendues à la voûte, deux grandes oreilles de porc, comme des sentinelles grotesques.

Au centre de cette caverne coule un ruisseau, mystérieux et infranchissable. Aucun homme, jamais, n’avait pu le traverser tant que régnait la mauvaise loi, ni même la méchante lignée de ce temps-là. Mais un jour, le poids de cette loi s’effondra, et le chemin s’ouvrit. Les hommes purent enfin franchir ce ruisseau, et là, au sol… ils aperçurent des empreintes, des traces palmées que seuls les pieds des enchantées pouvaient laisser.

Mais attention… à chaque fois que vous murmurerez leur nom, faites le signe de la croix. Elles n’aiment pas qu’on parle d’elles, voyez-vous.

Pour éviter la poussière et la boue, les enchantées avaient même bâti un pont, un pont de légende ! Il partait du sommet du roc de l’Homme Mort et s’étirait jusqu’à la montagne de Plantaurel. Aujourd’hui encore, si vous regardez bien, vous verrez les restes : d’énormes blocs de rocher, chacun pesant sept ou huit quintaux. De là-haut, ce pont semblait flotter dans le vide, comme une route vers un autre monde.

Et il y a encore un autre endroit… tout près de la fontaine de Fontestorbes, où l’eau surgit et disparaît comme un souffle intermittent. Là, au-dessus, se trouve une grotte avec un gouffre, le gouffre des Corbeaux. Il est si profond qu’il ressemble à un puits sans fond. Penchez-vous, et si vous écoutez bien, vous entendrez peut-être l’eau murmurer, là-bas, dans l’obscurité. C’est ici que les enchantées venaient laver leur linge. Mais elles ne faisaient pas comme nous, non, non… elles utilisaient un battoir en or, un objet splendide qui captait la moindre lumière, même dans cette obscurité profonde.

Puis, un jour, tout changea. Quand la bonne loi s’établit, on dit que les enchantées disparurent d’un coup, comme un souffle emporté par le vent. Mais elles laissèrent derrière elles ce fameux battoir en or, au fond de leur lavoir mystérieux. Et il y est encore, dit-on, scintillant sous la terre.

Pourtant, personne n’a jamais osé aller le chercher. Vous vous demandez pourquoi, n’est-ce pas ? Ah, il y a une condition, une seule, mais elle est terrifiante… Pour trouver ce battoir d’or, il faut s’y rendre seul, dans le silence glacé de minuit, et surtout… sans lumière.

Alors, la prochaine fois que vous marcherez près des montagnes de Belesta, dans les forêts de sapins, à la nuit tombée, écoutez bien les murmures du vent, et si vous sentez une brise douce effleurer votre visage, ce sont peut-être les enchantées, encore là, veillant sur leurs secrets.

Cette femme m’a semblé digne de confiance, et je n’ai aucune raison de douter de ses paroles.