samedi 19 décembre 2020

Le monde aurait été bien différent si la chasse aux sorcières n'avait pas eu lieu.


    Dans une époque où famines, guerres de religion, persécutions, misères, catastrophes climatiques frappent, laissent le monde rural dans une grande misère, la mort rôde et il faut des boucs émissaires. Les guérisseuses, nombreuses en ce temps car connaisseuses des plantes, deviennent vite des empoisonneuses. Les bergères, près de la nature, les sages-femmes sont souvent visées.

    Il suffit d’un soupçon, d’une rumeur , d’une dénonciation.

    Les évènements inexplicables ou inexpliqués donnent lieu à des recherches de causes ou de coupables.

    Une grange qui brûle, une mort subite, une bête qui meurt, tout évènement sans cause apparente : la communauté villageoise, la rumeur, désignent un coupable…Généralement la personne au comportement qui paraît insolite, celle qui vit différemment, qui ne s’habille pas comme tout le monde, qui reste à l’écart, parfois même celle dont on a profité des dons ou des connaissances…

Pourquoi des femmes

    Depuis l’Antiquité les femmes sont considérées comme inférieures aux hommes. Les médecins grecs nient leurs capacités médicales. Les réformes religieuses du XVIème siècle voient leur autonomie comme une menace. Dans les campagnes en particulier, les femmes ayant une bonne connaissance des plantes les utilisent et exercent comme guérisseuses; les vieilles femmes sont particulièrement visées : vivant plus longtemps que les hommes, les veuves sont soupçonnées d’éliminer leurs maris par des philtres magiques et de guérisseuses deviennent empoisonneuses…

    Les procès en sorcellerie sont nombreux dans tous les départements d’Occitanie.

Marthe de Ga, âgée de 70 ans, épouse d’un paysan aisé, sa fille Philippe du Rieu, âgée de 30 ans et Ysabelle Tallieu,une quadragénaire : ces trois femmes de Seix (Ariège), sont dénoncées par leurs fils et frères dont l’un est curé de Seix, et arrêtées en 1562. Convaincues de sorcellerie, elles sont pendues puis brûlées ; l’année suivante, dans la même région, 36 femmes de Soulan, d’Utou, de Massat et de Taurignan subissent un sort identique !

« Les sorcières ont toujours été des femmes qui ont osé être : inspirées, courageuses, agressives, intelligentes, non conformistes, exploratoires, curieuses, indépendantes, sexuellement libérées, révolutionnaires. Cela explique peut-être pourquoi 9 millions d’entre elles ont été brûlées. »


   

 Voici un texte que j'ai découvert lors de mes recherches sur le sujet: Ils m'ont brûlée comme sorcière. 


« Ils ont crié "Maudite !" "Va brûler en enfer!" 

Ils m'ont craché dessus. 

Ils m'ont frappée. 

Ils ont arraché mes vêtements. 

Ils m'ont entièrement rasée. 

Ils m’ont écartelée trois jours entiers. 

Ils ont cherché des tâches sur mon corps. 

Les grains de beauté que j'avais : preuve de mon appartenance au démon. 

Même les jeunes enfants m'ont jeté des pierres. 

Leurs mères me tuaient du regard.

Les prêtres m'ont aspergée d’eau bénite. 

Ils m'ont ordonnée de baiser leur crucifix pour racheter mes fautes.

Après maintes tortures, ils m'ont placée sur le bûcher.

Par chance, la fumée m’a vite étourdie, alors ma vie à défilé devant moi.

Et, je me suis souvenue de chaque instant.

Si je devais la refaire, cette vie, pour échapper à cette mort atroce, je ne changerai rien.

Je suis née dans un petit village en Royaume de France.

Je vis avec ma mère et ma sœur.

Je ne sais pas qui est mon père. 

Probablement un du village, ou un homme de passage.

On vit à l'écart parce qu’on n’a pas le sous.

Je ne sais ni lire ni écrire. 

Je porte un tablier taché par les heures de labeur, et refuse d'attacher mes cheveux. 

Alors ils volent au vent et je sais que ça dérange, comme mes pieds nus blessés par mes mauvais sabots.

Ma mère est solide. Elle coupe son bois, tue ses chèvres pour nous nourrir et soulève parfois son jupon contre 2 livres de farine.

La vie est rude.

Souvent, elle part seule.

A l'automne on cueille des champignons, ceux là même réputés pour leur malheur de mort. 

Nous on les fait sécher.

Il y a la fée en eux. 

On le sait.

Au village ils font tomber mes œufs ou se moquent de mes guenilles.

Je ramasse des coups. 

Alors j’ai appris à me cacher, je suis sauvage.

Et comme je suis jolie, les hommes me regardent et les femmes me maudissent.

Il arrive que, moi aussi, je remonte mon tablier contre un pot de beurre.

Il y en a un que j'aime mieux que les autres, et avec qui j'ai de la joie. 

C'est le fils du forgeron. Il est doux avec moi, mais il va prendre la Pauline en mariage. 

C'est ainsi et je l'accepte...

Parfois des femmes viennent nous voir pour faire passer l'enfant qu'elles portent.

Alors on leur donne à boire des décoctions ou bien ma mère leur met des pointes dans le ventre.

Toujours en cachette on vient nous demander des philtres d’amour. 

Elles savent qu’on fabrique des charmes.

Ce savoir des plantes nous vient de nos grands-mères. 

Personne n’avoue avoir recours aux trois folles qui vivent dans le bois, et pourtant…

Et puis il y a les soirs de pleine lune où, au fond de la forêt, nous partons toutes les trois. 

Autour d'un grand feu nous chantons et dansons. 

Je ne peux pas vous dire tout ce que nous faisons. 

Je l’ai juré devant elles, de ne jamais révéler nos secrets-. 

Mais ce que nous faisons, nous donne grande magie.

Au village, ils disent que nous fricotons avec le grand Cornu et que nous volons sur nos balais de sureau. 

Il est vrai que nous possédons ce don de voyager en dehors de nos corps, et que cela nous offre mille possibilités.

Mais nous ne propageons pas le malheur, ça je le jure !

La vie est ainsi, entière et rugueuse, sans pitié mais libre.

Et puis, hier soir, les juges de l'inquisition sont arrivés au village.

Dans la nuit, avec les villageois, ils sont venus me chercher. 

Ils ont fait irruption dans ma cabane qu'ils ont brûlée avec leurs torches. 

Ma mère et ma soeur sont mortes depuis longtemps. 

Grand bien qu’elles n’aient pas à subir elles aussi ce malheur ! 

Ils sont venus nombreux pour moi.

Quelque part je les attendais. 

On n'échappe pas à sa vie, encore moins à sa mort.

Je n'ai pas eu de procès, que des accusations.

Il paraît que je mange des enfants, que je pactise avec le diable et que je porte malheur. 

Tout cela est faux je le promets. 

Mon seul tort est d'avoir honoré les dieux de la nature, et d’avoir vécu sans mari.

Ils m'ont brûlée comme sorcière. 

Moi qui n'avais rien demandé.

Ils ont crié "Maudite !" "Va brûler en enfer!"

Ils ont hurlé. Ils ont frappé.

Ils ont jeté sur moi tous leurs malheurs. 

Les mauvaises récoltes, la sécheresse passée….

Et je suis morte comme ça. 

Seule sur ce bûcher. 

Il pleuvait un peu ce jour là….

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Je revois encore mes cendres monter au ciel et se mélanger avec la pluie. 

Cette pluie fine que j’aimais tellement, sous laquelle je courais enfant, nue dans ma clairière.

J’ai regardé une dernière fois ce petit village qui m’avait tant rejetée, à cause de ma liberté. 

Liberté qui a causé ma mort.

J’ai attendu que la pluie s’arrête, pour la regarder une dernière fois, enrober ma chère forêt. 

Puis, j’ai décidé de m’en aller, je ne voulais pas les hanter. 

Je voulais juste repartir là d’où je venais, sous d’autre cieux, loin de l’enfer qu’ils me prédisaient.

Ils m'ont brûlée comme sorcière, 

Une pluie fine tombait ce jour là, et de cette vie, je me souviens....

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En hommage à la Grande Mère

En hommage au Clan des Rêveuses

Rappelle-toi de te souvenir

Souviens toi de te rappeler

La promesse que tu t’es donnée... »

Auteur inconnu


Sources: Blog Occitane ... découvertes.




jeudi 19 novembre 2020

Rosalie des chèvres.

 

ROSALIE DES CHEVRES.

 

  C'était très curieux : Rosalie était presque une Personne célèbre. Du moins elle était fort connue à vingt lieues à la ronde et souvent même bien plus loin. On disait : « Vous savez, Rosalie. mais oui... “Rosalie des chèvres” ».… Évidemment on savait...

Elle était devenue peu à peu Rosalie des chèvres. Cette popularité elle la devait à ses sept chèvres. Elle avait décidé une fois pour toutes qu'il en faut sept pour vivre, et qu’une de plus ou de moins détruit l'harmonie...

Elle n'avait rien fait pour cette popularité. Je pense même qu'elle l’ignorait. Mais elle était restée un type de femme aboli, dépassé par notre monde en décadence. Elle était pure. Sa vie avait été une longue pureté et une longue simplicité.

Elle était née dans un hameau haut-perché de l’autre côté du massif de Tabe, que domine le pic Saint-Barthélémy en Ariège.

Elle avait peu fréquenté l'école, car le village était beaucoup plus bas, que les hivers étaient longs et que les derniers loups couraient encore par les landes.

C'est ainsi qu'elle acquit des vertus que seule peut-être dans un monde fou, elle ne devait pas jeter par-dessus les moulins de la vallée du Touyre. Et pour elle, c'était si simple de rester ce qu’on l'avait faite.

Jusqu'à son mariage, elle n'avait jamais chaussé autre chose que des sabots où elle mettait une poignée de paille et l’été elle allait la plupart du temps pieds nus.

Elle ne connaissait que la langue d'Oc, parlée par les siens et tout le voisinage.

Le français, elle devait l’apprendre bien imparfaitement et par bribes, plus tard. Mais la langue d’oc revenait sans cesse à sa bouche, et cela faisait sourire quand elle s’adressait à quelqu'un en français. Il lui arrivait de dire peiche pour poisson, sèbe pour oignon et carrière pour rue.

En juillet 1914, le 15 exactement, Rosalie fit un grand Voyage. Elle franchit la montagne et vint se fixer à Mouréou, où le François, son mari, avait sa maison, sa famille, ses biens. Et le lendemain des noces, en ouvrant les volets de sa Chambre nuptiale, elle découvrit un panorama extraordinaire : en face une montagne allant jusqu'au ciel, une immense pyramide faite d’à-pics vertigineux, et là-haut, sur le sommet une construction fascinante, un château céleste.

C'était Montségur.



Elle resta un moment rêveuse devant ce site grandiose. Elle ne connaissait nullement l’histoire de haut lieu. À quoi rêvait-elle ? aux événements récents qui l'avaient faite femme ?.… À sa nouvelle vie ressemblant étrangement à l'ancienne ? A son prince charmant, carré et moustachu qui s'était levé fort matin pour nourrir les vaches, et qui en ce moment, labourait dans les environs ?... À ce site insolite où la spiritualité s'inscrivit un jour dans les rocs ?...

Mais la vie de tous les jours n'était pas faite de rêverie. Elle descendit en bas, et la grosse Victorine, sa belle-mère, eut tôt fait de lui faire voir les lieux, les deux cochons dans leur bauge, la basse-cour, l'étable, le jardin. Oui, il y avait de l'ouvrage pour Rosalie, et elle s'y mit bravement sans attendre.

Ces bonnes gens trimaient dur, comme on trimait dur à la terre à cette époque-là. Ils ne lisaient pas de journaux et ignoraient tout des événements qui étaient en marche.

Une quinzaine de jours après son mariage, Rosalie alla jusqu’au col d'où la vue s'étend vers la Basse-Ariège, accompagne le François qui devait prendre le train à Foix et regagner son affectation à Toulouse.  C'était la mobilisation générale.

Le François ne revint jamais. Un mois après il tombait d'une balle en plein front, quelque part en terre étrangère.

Rosalie avait-elle eu le temps de devenir femme ? Si peu, sans doute.

A Mouréous, la vie continuait comme avant le drame. Les parents de François nourrissaient en eux une peine infinie, mais ne la montraient guère. La grosse Victorine profitait de l'heure de la pâture de cochons pour laisser ruisseler des larmes clandestines sur ses joues ridées. Puis elle les essuyait furtivement d’un revers de manche pour reparaître devant son mari.

Rosalie continua sa tâche. Et des années passèrent. Ses beaux-parents se firent vieux. Elle les soigna consciencieusement, comme il était naturel qu’elle le fit. Et puis, l’un après l'autre, elle leur ferma les yeux, sous le portrait de François en capote et calot de fantassin, surmonté d'un brin de laurier béni.

Et Rosalie resta seule dans cette grande maison.

Encore beaucoup de temps passa. Son visage se rida comme ces petites pommes rouges qu'elle disposait sur des journaux près de son lit et qui sont si bonnes à partit du mois d'avril.

Peu à peu, elle abandonna le gros travail, vendit ses vaches, loua ses champs et ses prés (oh ! pour si peut), se contenta de cultiver son minuscule jardin près de la fontaine, et de "faire venir" un cochon jusqu’au poids d’une centaine de kilos.

Et puis elle eut ses chèvres, sept chèvres qu’elle allait garder tous les jours, sauf au plus fort de l’hiver.

Le jardin, le cochon, les sept chèvres, c'était toute la vie de Rosalie.

Chacune de ses chèvres avait sa personnalité propre. Et Rosalie les avaient baptisées selon leur caractère. Il y avait la plus farouche qui sautait et baissait ses cornes les chiens ou les inconnus ; Balento, celle qui avait le plus de lait ; Magnago, la plus gentille ; Poulido, la plus jolie avec son manteau d'hermine ; Tuffeto, qui avait comme une  aigrette entre ses petites cornes ; Mirgaillado, la blanche et noire, et enfin Crabideto, la préférée peut-être, qui avait été au seuil de la mort et que Rosalie avait sauvée à force de soins et patience.

On voyait souvent la bergère et son troupeau de chèvres sur les pentes de Montségur ou dans les prés au fond du ravin de Serrelongue. Et les touristes de Montségur engageaient conversation avec cette femme simple qui souriait de toutes ses rides.

C’est ainsi qu’elle devint populaire.




On disait : « J'ai rencontré au pied de Montségur une Chevrière au milieu de ses chèvres. Elle est venue vers moi comme si elle me connaissait et nous avons causé. Quelle personne avenante ! »

On répondait : « Ah ! oui, c'est Rosalie des chèvres ! »

Mais ce que personne ne savait, c'est que Rosalie avait au fond de son cœur un grand secret , et que ce secret nul ne le connaîtrait jamais.


Elle “savait”, elle avait peu à peu acquis la certitude que François n'était pas mort dans les boues de la guerre, mais qu'il habitait là-haut dans ce château tant visité.

Elle avait appris ce grand secret par des rêves qu’elle avait fait, par des signes dans le ciel, ou dans la nuit. La première fois qu’elle avait fait ce rêve étrange de sa vie à Montségur, elle avait ouvert la fenêtre, et là-haut au milieu des étoiles, elle avait perçu des signes lumineux.

Oh ! personne ne l'avait rencontré et ne risquait pas de le rencontrer. Il habitait une sorte de palais souterrain, sous le château. L'entrée en était rigoureusement cachée par des touffes de buis et de noisettes, et il était impossible de la découvrir. François, elle l'avait peu connu. Quinze jours de vie commune au cours desquels chacun travaillait de son côté, et seulement quelques instants de vie conjugale dans un lit à grands rideaux rouges à fleurs et dans une chambre obscure. Elle n'avait pas eu le temps d'aimer ce compagnon de deux semaines, ni de devenir pleinement une femme.

Elle aurait pu, bien sûr, même du vivant de ses beaux-parents, une fois la grande tourmente passée, aller gagner de l'argent dans les usines textiles de la région. Elle y aurait sans doute rencontré un compagnons qu'elle aurait eu, cette fois, le temps d'aimer... Non ! cette idée ne l'avait pas effleurée.

Et peu à peu elle s'était mise, dans cette grande maison déserte, à aimer un fantôme dont elle avait même oublié les traits. Et peu à peu ce fantôme était devenu un personnage bien réel, sous sa capote et son calot, et il habitait là-haut, sur le “pog” de Montségur.

Oh ! elle seule pouvait distinguer dans la nuit le signe par lequel il lui demandait de venir le rejoindre.

Elle allait alors ouvrir aux sept chèvres étonnées, mais qui la suivaient avec habitude, et sur le coup de minuit elle, prenait les sentiers familiers qui la conduisaient là -haut son rendez-vous d'amour.

Elle retrouvait toujours le François avec sa capote et calot comme sur le portrait. Elle lui demandait en patois, s'il se trouvait bien dans sa solitude, s’il ne « languissait » pas s'il ne voulait pas venir un peu, en bas, dans sa maisons.

Mais il secouait la tête et disait : « Tu sais bien que je suis mort. Qu'une balle m'a troué le front. Ailleurs je serais serait mort. il n'y a qu'ici que je vis, parce qu'ici ce n’est pas un lieu comme les autres. »

Elle le comprenait et soupirait. Puis elle le quittait en lui disant : « Eh, bien ! Ce sera moi qui viendrai jusque à toi. »

Et elle venait le rejoindre, toujours suivie de ses chèvres, dès qu'elle percevait le “signe” qui le lui demandait.

Et cela dura des années. Rosalie était heureuse, partagée entre deux mondes, vivant dans un étrange dualisme, vaquant à ses occupations, nourrissant le cochon, cultivant des légumes, soignant les chrysanthèmes pour les morts, gardant ses chèvres, causant gracieusement avec tous ces gens qui venaient de fort loin pour voir Montségur, mais les yeux étrangement attirés par la montagne de son secret.

Rosalie peu à peu devint une petite vieille alerte, mais elle ne s'en aperçut pas. Elle vivait hors du temps. Elle faisait les gestes nécessaires de la vie, mais attendait patiemment un signe la montagne, un appel qui lui ferait reprendre le sentier abrupt en pleine nuit.

Un jour, un touriste à qui elle parla lui fit voir un livre. Le titre la frappa “Le secret de Montségur”. Elle fut sur le point de raconter ce qu'était le vrai, le seul secret de Mont-ségur !… Elle se tut, à temps, dieu merci !


* * *


Un 17 mars, au matin, des jeunes gravissant, sacs sur le dos, le sentier de Montségur furent étonnés de voir des chèvres broutant les bourgeons des arbustes et l'herbe naine du chemin. Intrigués, ils s'arrêtèrent, voulurent les caresser. L'une des chèvres (c'était Jaurélo) se cabra et les menaça de ses cornes.

Tout de même il y avait quelque chose d'insolite dans ce caprin troupeau, broutant à une heure si matinale, sans berger ni bergère.

La veille, il avait neigé... Comme peut-être il avait neigé un autre 16 mars, bien loin au fond du passé. Un 16 mars qui avait vu un immense feu brûler toute la nuit, en bas, au dessus du chemin creux, par où tant de fois avait passé Rosalie des chèvres.

Les jeunes appelèrent.… l'écho seul répondit. Ils allaient se remettre en marche quand l’un d'eux aperçut comme un tas de vêtements au bas d’un rocher.

C'était Rosalie. La veille, jour anniversaire d’un grand crime de l'Histoire, elle avait capté l'appel de la montagne.

A minuit, elle s'était mise en route, sous sa cape de bure et son bâton à la main. Ses chèvres la suivaient, dociles; sur le sentier. Là-haut, sur la neige fraîche, ses pas avaient glissé sur un rocher.

Elle était morte là, simplement, comme elle avait vécu sur le chemin de son dernier rendez-vous.


André MAYNARD

Nouvelles et récits autour de Montségur.